Revirement majeur dans le dossier d'Alexandre Bissonnette, qui plaide finalement coupable aux douze chefs d'accusation portée contre lui en lien à la tuerie de la Grande mosquée de Québec, le 29 janvier 2017.
Le juge a enteriné de nouveaux plaidoyers qui ont été enregistrés lundi dernier, mais que les journalistes présents ne pouvaient rapporter, en raison d'une ordonnance de non-publication maintenue expressément par le Tribunal.
Il aura finalement dû attendre près de deux jours et la réalisation d'une expertise psychiatrique avant que le juge François Huot déclare Alexandre Bissonnette officiellement coupable des meurtres de Ibrahima Barry, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzeddine Soufiane, et de Aboubaker Thabti.
Le magistrat a également déclaré coupable Alexandre Bissonnette de tentative de meurtre à l'endroit de cinq blessés par balles et d'une trentaine d'autres musulmans présents à l'intérieur de la mosquée.
Il n'y aura donc pas de procès.
Les représentations sur la peine auront lieu ultérieurement.
Son procès devait commencer le 3 avril avec la sélection du jury.
«Ça fait longtemps que j'y pense...»
Cinq heures à peine après avoir enregistré des plaidoyers de non-culpabilité, l'accusé a indiqué au juge François Huot lundi après-midi qu'il souhaitait s'adresser à lui.
Menotté aux poignets et aux chevilles, il a alors été conduit du banc des accusés à la barre des témoins devant les yeux de ses parents. C'est à cet instant qu'il a pris tout le monde par surprise en affirmant qu'il voulait désormais plaider coupable aux six chefs d'accusation de meurtre prémédité, de même qu'aux six autres chefs de tentative de meurtre.
Stupéfait, le juge Huot lui a alors voulu savoir ce qui expliquait cette décision «relativement subite».
« Ça fait longtemps que j'y pense. Dans mon cœur, c'est la décision que j'ai décidé de prendre. De plaider coupable à l'ensemble des accusations. Pour éviter un procès, pis éviter aux personnes touchées, aux victimes de revivre cette tragédie. C'est une décision que j'ai mûrement réfléchie depuis longtemps. »
Une série de questions s'en est suivi afin de savoir si le nouveau plaidoyer qu'il souhait livrer se faisait de façon libre et volontaire.
Juge : «Ne prenez pas négativement les questions qui suivront, mais je pense que dans les circonstances, il est de mon devoir de vous les poser... Est-ce que présentement vous êtes sous l'influence de quelques substances que se soit? Médicament, drogue, alcool, est-ce que vous êtes sous l'influence de quoi que ce soit présentement qui est susceptible de fausser votre jugement?
Bissonnette : «Non, monsieur le juge!»
Juge : «Est-ce que vous vous sentez mentalement cet après-midi en pleine possession de vos moyens?»
Bissonnette : «Oui, monsieur le juge! Certainement, je suis un petit peu stressé d'être devant vous, et d'être devant cette assemblée.»
Juge : «Physiquement, est-ce que vous vous sentez en forme cet après-midi?»
Bissonnette : «Oui, monsieur le juge!»
Juge : «Vous n'êtes en proie à aucun malaise que ce soit?»
Bissonnette : «Non!»
Juge : «Et vous me dites que vous n'êtes pas sous l'influence de quelque substance intoxicante que se soit...»
Bissonnette : «Non!»
Juge : «Vous comprenez bien ce que je vous dis? En fait, quand on se parle, vous comprenez bien la nature de nos échanges?»
Bissonnette : «Absolument!»
Juge : «Ça va! Vous pouvez regagner votre place, monsieur...»
Le magistrat s'est ensuite adressé aux avocats de la défense, afin de savoir si Alexandre Bissonnette leur avait déjà fait part de cette éventualité.
Me Charles-Olivier Gosselin a répondu par l'affirmative, ajoutant qu'il l'avait fait à plusieurs reprises dans les dernières semaines. Une entente avait été prise avec lui, soit celle d'obtenir l'entièreté de la preuve avant de se prononcer.
« Je veux m'assurer que personne ne pourra éventuellement revenir et dire que nous n'avons pas pris toutes les précautions nécessaires pour nous assurer que le plaidoyer de monsieur est libre et volontaire. J'ai volontairement demandé que l'on approche monsieur du Tribunal, il y a quelques instants, et ce n'était pas pour rien. C'est que je voulais avoir un échange direct avec monsieur Bissonnette, et m'assurer que celui-ci semblait bien comprendre ce dont il était question. Je dois vous dire que je ne suis pas qualifié en la matière, mais comme profane, monsieur me semble très bien comprendre les échanges et ce dont il est question. […] Je vais quand même, monsieur Bissonnette, dans le souci de préserver vos droits au maximum, vous accorder encore quelques minutes de réflexion... »
Alexandre Bissonnette a alors fait savoir qu'il souhaitait en temps opportun lire une déclaration.
Le juge Huot l'a ensuite envoyé réfléchir pendant une trentaine de minutes, lui rappelant qu'il pourrait être inadmissible à une libération conditionnelle avant 150 ans.
Au retour de la pause, qui parut durer une éternité, le juge François Huot a demandé à l'accusé s'il avait eu suffisamment de temps de réflexion.
«Oui, monsieur le juge! Pis je suis encore décidé à plaider coupable...», a déclaré Bissonnette.
Le magistrat a de nouveau procédé à la lecture des douze chefs d'accusation portés contre Alexandre Bissonnette. Semblant retenir des sanglots, ce dernier a levé la tête et regardé en direction du juge après la lecture de chacun des chefs afin de prononcer le mot «coupable» à douze reprises.
C'est tête baissée, avec une main au visage, que la mère d'Alexandre Bissonnette a écouté son fils enregistrer son plaidoyer de culpabilité.
Le juge Huot a ensuite posé une série de questions toujours afin de savoir s'il était bien conscient de la gravité de la peine qu'il encourait en plaidant coupable, mais aussi pour s'assurer de la validité de ses plaidoyers.
«Pour éviter qu'une planche retrousse...»
Malgré l'assurance avec laquelle Bissonnette a répondu à chacune de ses questions, le magistrat a fait savoir qu'avant d'entériner les plaidoyers il souhaitait obtenir l'expertise d'un psychiatre. C'est pourquoi le juge a maintenu l'ordonnance de non-publication jusqu'à ce qu'il obtienne le résultat de cette expertise.
Le juge a cependant demandé aux deux parties que cet examen sur aptitude à subir son procès soit réalisé par un autre expert que ceux qui devaient témoigner lors du procès. Il a également formulé le souhait que le psychiatre puisse se présenter devant le Tribunal.
« Ma préoccupation est la suivante... J'ai un plaidoyer qui est enregistré dans les circonstances que vous connaissez, et je veux m'assurer de la validité totale de ce plaidoyer. Et je veux surtout éviter que quiconque puisse éventuellement remettre en cause la validité de ce qui se passe ici aujourd'hui. Ce qui pourrait, si évidemment des représentations en ce sens trouvaient écho à la Cour d'appel, générer de nouvelles procédures et entraîner à nouveau les familles des victimes dans une période d'attente et d'expectative très inconfortable, et générer pour la famille et pour monsieur Bissonnette aussi pareil expectative et attente non seulement inconfortable, angoissante, comme pour les familles des victimes d'ailleurs. Vous comprenez? C'est la raison pour laquelle avant d'entériner ces plaidoyers-là aujourd'hui, et avant de permettre aux médias de faire état de ce qui vient de se passer, je vais vouloir avoir une confirmation médicale que monsieur était tout à fait apte à me formuler ses plaidoyers aujourd'hui. Et lorsque j’entérinerai ses plaidoyers on lèvera le «publication ban», mais pour l'instant, je veux absolument m'assurer, et c'est dans l'intérêt de toutes les parties qu'il ne subsiste aucun doute sur cette volonté, et je le dis d'emblée, qui m'apparaît réelle de monsieur Bissonnette de vouloir disposer du dossier. »
La Couronne s'est montrée très collaborative afin de trouver un psychiatre capable de procéder à une expertise dans un délai de moins de 48 heures.
Le juge a remercié les journalistes présents pour leur «collaboration forcée» et ajourné l'audience jusqu'à mercredi matin.
Aptitude confirmée
Si la grande salle du palais de justice de Québec était relativement vide lundi, elle était bondée mercredi. De nombreux membres de la communauté musulmane de Québec, des proches des victimes, de même que les parents d'Alexandre Bissonnette y étaient.
Le psychiatre Sylvain Faucher a réalisé un examen lundi soir et remis ses conclusions au Tribunal, en plus de s'y présenter mercredi matin afin de répondre aux questions du juge.
Le Dr Faucher a confirmé qu'Alexandre Bissonnette était en pleine capacité de ses moyens lorsqu'il a enregistré ses nouveaux plaidoyers. Une expertise qui vient donc accréditer la validité de ceux-ci.