L'acteur québécois Albert Millaire, dont la voix grave et le port altier ont sillonné pendant un demi-siècle le théâtre et la télévision au Québec et ailleurs au Canada, est décédé chez lui, entouré de ses proches, mercredi après-midi. Il était âgé de 83 ans.
Selon un communiqué publié par son agence Premier Rôle, il continuait jusqu'aux dernières minutes de sa vie à «parler de théâtre avec passion, de ses souvenirs d'une vie bien remplie par ce travail qui le comblait».
L'acteur avait été atteint d'un cancer en 2000, mais il avait repris ses activités par la suite, même si on le voyait moins.
Acteur «élégant», jouant davantage les dandys et les grands rôles classiques, il est surtout, pour les Québécois plus âgés, l'image d'Épinal du héros historique Pierre Le Moyne d'Iberville, qu'il avait incarné dans une populaire série télévisée en 1969. Il a aussi été Wilfrid Laurier dans une minisérie sur l'ex-premier ministre libéral en 1987.
Albert Millaire avait obtenu un prix Gémeaux en 2014 pour le meilleur rôle de soutien masculin dans le téléroman «Mémoires vives».
Dès l'âge de 20 ans
Né à Montréal le 18 janvier 1935, Albert Millaire étudie au Conservatoire d'art dramatique du Québec, puis à Paris et à Londres. On dit qu’il a amorcé sa carrière professionnelle à l'âge de 20 ans en s’attaquant à de la grande pointure: Vladimir dans «En attendant Godot», de Beckett. Il visitera ensuite tous les grands rôles du répertoire classique et contemporain — Molière, Shakespeare, Musset, Claudel, Brecht, Shaffer, Dubé... Il sera ainsi tour à tour Lorenzaccio, Tartuffe, Hamlet, Figaro, Salieri, Dom Juan ou Alceste.
La télévision naissante vient le recruter rapidement pour interpréter dans les «téléthéâtres» des «Beaux Dimanches» les mêmes classiques — Racine, Shakespeare, Camus, et bien sûr «Cyrano», incontournable pour un acteur de son type. C’était l’époque glorieuse des grands réalisateurs-metteurs en scène de Radio-Canada — Carrier, Blouin, Fugère, Faucher...
Le nouveau genre des téléromans vient aussi le cueillir — «Le Chenal du Moyne», de Guèvremont, «Les Filles d’Ève» — et il participe à des émissions jeunesse — «Le Courrier du roy» (1959-1961), «Le Grand Duc» (1959-1963).
Le Théâtre du Nouveau Monde se l’attache bientôt comme «acteur-résident» — il y sera d’ailleurs un temps directeur artistique adjoint, et on l'a même pressenti, beaucoup plus tard, pour remplacer Olivier Reichenbach. Il a aussi dirigé le Théâtre populaire du Québec, le Théâtre du bois de Coulonge à Québec et le Théâtre de Repentigny. Le Rideau vert, qui montait surtout à l'époque des pièces sur mesure pour son style, l’accueillera très souvent sur sa scène de la rue Saint-Denis.
Albert Millaire est aussi l’«acteur-résident» de la pièce «La Céleste bicyclette», de Roch Carrier, qu’il a jouée des années durant, en français et en anglais — il avait commandé pour lui ce spectacle-solo après avoir monté à Stratford «La Guerre, yes Sir!», du même auteur.
Plus récemment, il était de la distribution des «Sorcières de Salem» en 1998 au TNM, et de «Célimène et le Cardinal» en 1994, où il retrouvait, dans une pièce contemporaine, un Alceste vieilli, du «Misanthrope» de Molière, qu’il avait joué plus jeune.
En octobre 1999, il était de «Urfaust — Tragédie sublime», de Denis Marleau, jouée en banlieue de Paris. Et en février 2003, le vétéran reçoit le Masque du meilleur acteur de soutien pour son travail dans une pièce inspirée d'«Oncle Vania», montée par Serge Denoncourt. Ému, il a remercié le metteur en scène de lui avoir «donné une deuxième carrière», lui qui croyait ne plus pouvoir jouer après avoir été atteint d’un cancer en 2000.
Pas très «cinéma québécois»
On a peu vu Albert Millaire au cinéma québécois: son style patricien ne lui permettait guère de jouer dans «La Mort d’un bûcheron» ou «Gina» — quoiqu’on l'ait aperçu dans «Mustang» (1975)... On l’a aussi vu dans «À Corps perdu» (1988) et «J’en suis» (1997), où il jouait un antiquaire très gai. Il avait aussi interprété un imprésario parisien dans «L'Enfant prodige — L'Incroyable Destinée d'André Mathieu» (2010), de Luc Dionne.
À la télévision, il est de la distribution de «Grand-Papa», à la fin des années 1970, et des téléséries «Laurier» (1984), «Jalna» (1994) et «Juliette Pomerleau» (1999). Il a aussi surpris un peu plus tard en apparaissant brièvement dans la très éclatée série «Le Coeur a ses raisons» — il y jouait Doug Montgomery, le riche aïeul dont on se dispute l'héritage.
Sa maîtrise de l’anglais et son penchant pour les classiques mèneront aussi tout naturellement Albert Millaire vers le Festival de Stratford, en Ontario, où, pendant cinq saisons, il jouera et mettra en scène plusieurs productions — il y montera ainsi en 1992 «Bonjour, là, bonjour», de Tremblay, qu’il n’aurait jamais pu vraiment jouer lui-même. On le réclame aussi pour monter du Molière aux États-Unis, et Toronto l’engagera souvent pour des rôles d’Européens ou d'aristocrates à la télévision — notamment dans la populaire série «Road to Avonlea».
Sa voix grave mais roulante est aussi prisée pour des narrations de documentaires et de films de fiction (notamment «La Vie heureuse de Léopold Z», en 1965), des livres parlés et, bien sûr, en publicité — l’indélébile «C’est un peu plus cher, mais c’est plus que du bonbon» d’une marque de gommes à mâcher, c'était bien lui.
Il a publié en 2010 «Mes amours de personnages», où il raconte sa vie d'acteurs et les 50 grands personnages qu'il a incarnés au théâtre, à la télé et au cinéma. Albert Millaire a aussi été président de l’Académie québécoise du théâtre de 1996 à 1999, secrétaire général de l’Union des artistes et président du Conseil canadien du statut de l’artiste.
Il avait reçu en 1983 le prix Victor-Morin des arts de la scène de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, et il avait été fait officier de l’Ordre du Canada en 1989 puis compagnon en 2001, ainsi que chevalier de l'Ordre national du Québec en 1995.